En juillet 2012 est paru aux Editions TEC&DOC chez Lavoisier, le livre « Retour d’expérience en gestion des connaissances ». Il rassemble une dizaine de contributions de professionnels impliqués dans des projets sur cette discipline sous la direction de Françoise ROSSION qui est une spécialiste reconnue en gestion des connaissances et en gestion électronique de documents.
Ce livre fait un peu plus de deux cent trente pages. Il est découpé en dix chapitres avec une introduction de facilitation de la lecture du document et une conclusion de mise en perspective sur l’implémentation de la gestion des connaissances.
L’ouvrage est intéressant car il traite au travers de cas concrets des principaux thèmes de la gestion des connaissances. De manière plus précise sont abordés les thèmes suivants :
- Organisation apprenante et gestion des connaissances ;
- Cartographie des connaissances ;
- Communautés de pratique ;
- Capitalisation et transmission des connaissances ;
- Démarche et projet de gestion des connaissances ;
- Technologies pour la gestion des connaissances
Le mix des cas retenus offre un éclairage intéressant sur la gestion des connaissances dans différents secteurs d’activité.
En fait, même s’il faut bien noter que les contributions fournies par les différents auteurs sont inégales, ce qui est souvent le cas dans les ouvrages collectifs, les expériences présentées sont très enrichissantes. Elles sont positionnées sur un périmètre large et donnent matière à réflexion pour les mises en œuvre opérationnelles. Cependant il manque à cet ouvrage, en rapport à son titre, un bilan de la gestion des connaissances en tant qu’approche née dans les années 90 et déployée dans les organisations jusqu’à maintenant. Au final il aurait fallu appeler ce livre « Retours d’expérience en gestion des connaissances », le « s » à « Retour » exprimant mieux le positionnement du livre qui est principalement une mise à disposition de cas.
Une présentation et une analyse détaillée du contenu de l’ouvrage sont réalisées ci-après, thème par thème. Du fait qu’il s’agit d’un ouvrage collectif, le billet de blog qui le présente est assez long et l’auteur demande au lecteur son indulgence.
Organisation apprenante et gestion des connaissances
Sous ce premier thème se présentent les deux chapitres :
- La mutation d’une entreprise vers une organisation apprenante ou le management des réseaux versus le management hiérarchique ;
- Le service public, terreau fertile pour l’organisation apprenante ? Le cas du Forem.
Concernant le premier chapitre, il est certain que depuis les années 90, les organisations ont évolué et continuent à le faire. Cependant la présentation qui est faite ici de ces évolutions est assez commune. Il est certain que sont évoquées : les pratiques de coopération, la mise en place des communautés de pratique, l’identification des bonnes pratiques et la valorisation de l’expertise mais cela reste assez formel. Au final, il faut bien constater que l’on reste assez loin malheureusement des analyses de Peter SENGE et de la Society of Organizational Learning (SOL).
Le deuxième chapitre du thème est lui positionné sur les approches usuelles de l’organisation apprenante évoquées ci-dessus. Même si sa mise en forme est assez littéraire, il faut indiquer que le cas présenté est décrit sans complaisance et les actions réalisées de manière détaillée. Cela fait sa pertinence.
Cartographie des connaissances
Seul un chapitre aborde ce sujet. C’est l’expérience de la police belge en matière de cartographie des connaissances qui est censée être décrite mais en fait l’essentiel du chapitre est consacrée à la réflexion sur la cartographie des connaissances. De nombreux auteurs ont écrit sur le sujet ; ils sont cités ainsi que des cas de réalisation d’opération de cartographie.
Comme dans les réflexions usuelles sur la cartographie, la dimension métier des connaissances à cartographier est oubliée. De fait cela donne un caractère abstrait à l’approche et limite beaucoup sa pertinence opérationnelle.
Dans le cas de la police belge présenté en une page sur les treize pages de l’article il faut retenir que la cartographie des connaissances a permis principalement d’identifier les dispositifs de gestion des connaissances à mettre en œuvre.
Communautés de pratique
Ce chapitre, un seul est dédié au sujet, est d’une grande qualité. C’est même sans doute un des documents les plus complets écrits en français sur le sujet.
De fait, les sujets principaux sont abordés dans cet article :
- Les connaissances et leur gestion ;
- Les communautés de pratique ;
- La communauté de pratique KM comme support de la démarche ;
- Les réseaux sociaux et autres outils de collaboration.
Concernant les connaissances et de leur gestion, il est indiqué que cette dernière est un processus qu’il s’agit de mettre en œuvre, même si c’est une opération assez délicate, et qu’il s’agit de distinguer pour ce faire entre les connaissances tacites et les connaissances explicites. Par ailleurs, dans un contexte où il n’est pas si usuel dans les organisations de partager ses connaissances, les communautés de pratique par la confiance et la reconnaissance des pairs qu’elles permettent sont le sésame du partage de connaissances.
Il faut bien dire que présenter la gestion des connaissances comme un processus est non seulement ancien mais aussi inadapté. En fait la gestion des connaissances est la définition, la mise en place et le management de dispositifs qui facilitent la création, le partage, l’enrichissement, la conservation, la transmission et l’utilisation des connaissances pour le bénéfice des parties prenantes de l’organisation
La même remarque s’applique pour la distinction entre connaissances tacites et connaissances explicites. En fait plusieurs natures de connaissances peuvent être distinguées suivant leur niveau (individu, équipe, organisation, société…) et leur type (procédurale, conceptuelle…).
Dans ces conditions, mettre en avant de manière si forte, les communautés de pratique ne semble pas judicieux car d’une part elles ne sont pas le seul dispositif de gestion des connaissances et d’autre part elles ont leurs limites. En effet elles sont adaptées pour le partage de savoirs de gestion classique mais pas vraiment pour les savoirs techniques et procéduraux.
Concernant les communautés de pratique, les éléments clés pour leur positionnement, leur définition, leur mise en œuvre et leur animation sont présentés de manière détaillée et documentée avec une grande compétence sur le sujet.
Pour la communauté de pratique KM, il faut indiquer qu’elle est positionnée comme un dispositif pour soutenir et stimuler la démarche KM en rassemblant l’ensemble des parties prenantes concernées pour permettre qu’elles développent leurs échanges. Cette communauté est vraiment originale. Elle a certainement été ainsi qu’actuellement porteuse de valeur ajoutée pour le déploiement de la démarche KM même si sa définition n’est pas orthodoxe.
A cette communauté, sont adjoints principalement une formation à l’animation des communautés de pratique et un événement annuel. Ce qui, par contre, est assez classique.
L’analyse des réseaux sociaux et des autres outils de collaboration qui est présentée met en avant les premiers retours sur le déploiement des RSE au sein du Groupe. La principale leçon qui en est tirée est que leur mise en œuvre va certainement nécessiter un travail de changement plus profond que celui qui a été réalisé avec les communautés de pratique. Ce constat plein de bon sens n’est pas si fréquent, c’est pourquoi il doit être noté.
Capitalisation et transmission des connaissances
Sous ce thème sont rassemblés les trois chapitres suivants :
- Dispositif de partage, capitalisation et transmission de connaissances à IM Projet ;
- Le wiki au Service des Pensions du Secteur public – Essai de transfert des connaissances tacites au sein d’un organisme public ;
- Transfert des connaissances à long terme – Une étude de cas au sein d’une équipe de recherche
A propos du chapitre : « Dispositif de partage, capitalisation et transmission de connaissances à IM Projet », il faut noter que la présentation du cas qui est réalisée est aussi complète que détaillée. Le sujet principal en est le transfert de connaissances intergénérationnel au sein d’un cabinet de conseil en gestion de projet déployé sur trois sites avec un peu moins d’une centaine de collaborateurs dont plus de la moitié ont moins de trente ans.
Concernant le transfert de connaissances, il faut noter qu’au sein du cabinet il en existait des formes classiques : compagnonnage, formation présentielle, documentation qualité et opérationnelle et que la problématique posée était donc de les revoir en les améliorant pour permettre une croissance maitrisée du cabinet.
C’est un chapitre à forte valeur ajoutée, notamment parce que la définition et la mise de la œuvre de la gestion des connaissances réalisée a été opérée sans implémentation de dispositifs collaboratifs.
Par delà la présentation de la genèse du projet, de l’organisation projet mise en place, de la démarche et du planning suivis pour le déployer, il faut surtout noter les actions suivantes :
- Fixation consensuelle d’une liste de types de connaissances :
- Fondamentaux ;
- Normes, standards et réglementations ;
- Savoir-faire (méthodes, règles métier, justifications, exemples et ratios, outils, connaissance du métier du client);
- Savoir-vivre professionnel (de base, spécifique) ;
- Cas ;
- Définition d’un processus-type pour la mise en œuvre des projets réalisés ;
- Mise en place d’un recueil de connaissances et de leur capitalisation dans un outil de base de connaissances dédié (Ardans Knowledge Maker) ;
- Mise en forme d’un processus d’acquisition de connaissances pour les collaborateurs ;
- Définition et implémentation du cycle de gestion des connaissances et des responsabilités des différentes parties prenantes.
En bilan de l’opération, il est indiqué que les objectifs majeurs de l’opération ont été atteints aussi bien pour la rétention des informations que pour l’amélioration de la qualité des prestations.
S’agissant du chapitre : « Le wiki au Service des Pensions du Secteur public – Essai de transfert des connaissances tacites au sein d’un organisme public » est très riche car il détaille un essai de mise en œuvre d’un wiki pour « récupérer les connaissances les connaissances tacites et cruciales qui seront nécessaires au travail du futur service d’inspection ».
La mise en œuvre de celui-ci se positionne dans un contexte de papy-boom et d’informatisation de la gestion, du calcul et de l’octroi des pensions. La lecture du chapitre montre très clairement que cette opération de mise à disposition du wiki a été très clairement pensée et organisée avant son déploiement. En fait, la mise en œuvre du wiki s’est réalisée en trois temps :
- Mise à disposition dans le cadre de l’Intranet avec des consignes d’utilisation du wiki : peu d’engouement en un an d’utilisation ;
- Mise en place d’un projet wiki supporté par une direction gestion des connaissances avec les éléments suivants :
- Identification des connaissances critiques au sein de chaque direction ;
- Repérage des juniors et des seniors qui, au sein de chaque direction, pourraient être impliquées dans le transfert de connaissances ;
- Initiation et transfert de connaissances grâce à une communauté de gens motivés ;
- Intégration des connaissances dans le wiki
- Reconfiguration du projet du fait de son échec en diminuant son périmètre, mettant en place une communauté de support et en précisant les modalités de mise en forme des contenus pour les intégrer dans le wiki.
En fait ce cas est très intéressant. Il met en avant que l’implémentation d’un wiki ne peut se faire de manière sans travaux préalables. En fait différentes activités doivent être réalisées :
- Identification des connaissances à prendre en compte et des contenus liés ;
- Recueil des connaissances utilisées consciemment ou inconsciemment ;
- Formalisation de manière attractive des connaissances dans des contenus adaptés ;
- Mise à disposition des contenus pour faciliter l’assimilation des connaissances qu’ils contiennent.
Tous ces travaux relèvent d’une discipline qui n’est plus tellement pratiquée à ce jour. Il s’agit de l’ingénierie des connaissances. Ce n’est pas le fait d’utiliser un wiki à la place d’une base de connaissances pour stocker, mettre en forme et rendre accessible les connaissances qui va changer leur nature. Simplement avec les approches Web 2.0, il a été laissé supposer aux organisations qu’elles n’avaient plus court. Ce projet montre bien l’inverse.
Concernant le chapitre : « Transfert des connaissances à long terme – Une étude de cas au sein d’une équipe de recherche », il faut indiquer que la présentation du chapitre est basée sur une métaphore : la maison KM.
Celle-ci vise à fournir une présentation intuitive des espaces à mettre en place pour déployer la gestion des connaissances dans une organisation. Il est certain que cette représentation est simple. Elle est néanmoins un peu dépassée à l’heure des réseaux sociaux d’entreprise et de la gestion enrichie des contenus.
S’agissant du cas présenté, la représentation adoptée n’a semble-t-il pas facilitée le choix de l’outil. En effet plus d’an an a été nécessaire pour réaliser l’opération… Ensuite, le besoin semblait plus relever de la gestion des connaissances en projet et non d’une gestion statique des connaissances comme le laissait supposer la représentation proposée.
Démarche et projet de gestion des connaissances
Pour ce sujet sont rassemblés les chapitres suivants :
- Les bénéfices de la gestion des connaissances dans le secteur pharmaceutique ;
- La gestion des connaissances dans la fonction publique fédérale belge, 10 ans déjà ;
- La mise en place d’une démarche de gestion des connaissances : leçons apprises.
Concernant le chapitre « Les bénéfices de la gestion des connaissances dans le secteur pharmaceutique », le sujet qui a été retenu pour mettre en avant les avantages d’une approche Knowledge Management est le développement d’un procédé de cristallisation de la substance active d’un médicament. Il faut cependant noter que ce qui est présenté ici relève plus de l’organisation et de la gestion des données que de la gestion des connaissances.
S’agissant du chapitre « La gestion des connaissances dans la fonction publique fédérale belge, 10 ans déjà », il faut indiquer que la présentation et la mise en perspective de dix années de déploiement de la gestion des connaissances dans la fonction publique est très porteuse de valeur ajoutée pour tous les professionnels concernés. De manière plus détaillée, il faut noter les points ci-après sur la démarche suivie pour définir et implémenter la stratégie de gestion des connaissances :
- Mise en place d’un réseau pour impliquer et faire travailler ensemble autour de la gestion des connaissances les différentes organisations fédérales ;
- Mise à disposition de formations dédiées à la gestion des connaissances ;
- Fourniture d’outils et d’accompagnement pour la planification et le déploiement de la gestion des connaissances dans les différents services ;
- Proposition d’outils logiciels de gestion documentaire et de collaboration ;
- Organisation de la transmission des savoirs ;
- Identification et développement de la coopération au sein des services.
Pour le chapitre « La mise en place d’une démarche de gestion des connaissances : leçons apprises » qui est en fait la conclusion de l’ouvrage, il faut indiquer que c’est le point de vue d’un consultant qui est présenté. Il est intéressant parce que celui-ci dispose de nombreuses expériences dans la mise en œuvre de la gestion des connaissances. L’analyse est cependant limitée parce qu’elle manque de recul par rapport au Knowledge Management en tant que discipline qui existe maintenant depuis presque vingt ans. De fait, il existe actuellement différentes approches plus récentes qui revisitent les concepts et démarches mis en avant par la gestion des connaissances.
Technologies pour la gestion des connaissances
Seul un chapitre aborde ce thème : « Technologies et solutions au service de la gestion des connaissances à la STIB – Analyse de l’existant et proposition d’une vision ».
Il présente le positionnement des concepts de la gestion des connaissances (KM), de la gestion des documents (DMS) et de la business intelligence (BI), ce chapitre présente de manière détaillée les solutions logicielles que met en place ou que va implémenter la STIB. Elles se positionnent par rapport aux besoins identifiés en termes de DMS, KM et BI qui ont été structurés et mis en forme dans une vision. Il précise aussi les modalités pratiques de gouvernance pour ces trois domaines. Au final, il s’agit d’un chapitre très complet même si la présentation des sujets qui sont traités est assez spécifique.